Quand les navires peuvent parler [Libre]

Pendant que Dagda combattait avec une hargne sans faille, Lhuden était quelque peu plus modéré dans ses affrontements. L'apprentissage du combat était une chose, la réalité du terrain en était une autre. Le jeune prince esquivait surtout les attaques, privilégiant un minimum sa vie et celle des autres plutôt que le sang et la mort. L'emplacement de la caravane était devenu un véritable champ de bataille puisque des silhouettes inanimées jonchaient déjà le sol verdâtre de la plaine caldérienne. Il restait plusieurs survivants qui se battaient pour leur vie mais les ennemis semblaient de plus en plus nombreux, au point de retrancher le prince et les deux gardes en défense vis à vis de la femme et de l'homme qui avaient jusque là échappé au pire.

Le devoir des soldats était d'assurer leur défense. L'un des gardes, fin escrimeur, se débarrassa de l'un des assaillants tandis que le deuxième peinait contre son adversaire. Quant à Lhuden, il parvint à désarmer celui qui lui faisait face mais un autre prit sa place, ne lui laissant pas le soin de mettre hors d'état de nuire le premier vaincu. L'échange se poursuivit ainsi jusqu'à ce que l'un des gardes de Siltora ne périsse d'un violent coup d'épée. Dos à dos, le garde restant et Lhuden repoussaient les deux adversaires restants. Le troisième tentait de s'en prendre au couple de la caravane mais une flèche vint se planter dans son dos avant qu'une deuxième n'élimine l'adversaire du jeune Caldérion. Au loin, cinq chevaux se rapprochaient de leur position. Le garde éliminait son troisième ennemi tandis que Dagda, plus en forme que jamais, semblait également en finir avec les bandits autour de lui. Du moins, deux des derniers assaillants quittèrent les lieux en courant à la vue des nouveaux cavaliers.

Celui de tête s'approcha. Lhuden avait reconnu le général, lequel croisa machinalement le regard du prince qui fit mine de rejoindre les deux survivants pour éviter un silencieux affrontement. Les deux voyageurs allaient bien. Ils avouèrent rejoindre Siltora et s'être faits surprendre par des bandits désireux de s'approprier leurs marchandises. Le soldat et Lhuden les rassurèrent mais les pertes furent néanmoins importantes. Pendant que tous récupéraient tout ce qui pouvait l'être, l'apprenti cala discrètement un bout de tissu autour de son poignet, aussitôt dissimulé par sa manche. A peine fait, le général embarqua le prince à quelques mètres de la scène. -"L'un des nôtres a été tué. Cela aurait pu être vous". Ajouta t-il en le regardant droit dans les yeux, un brin furieux des agissements du jeune homme. -"Nous n'allions pas les laisser se faire tuer". Répondit-il pour se défendre. "Je vous déconseille de rester avec ce nain. A peine arrivé qu'il vous conduit aux portes de la mort. Choisissez mieux votre entourage !" Lhuden regarda en direction de Dagda, qui fort heureusement, n'avait pas pu entendre les propos du général. Il pouvait par contre ressentir une certaine tension entre ce dernier et l'apprenti. Le soldat retourna vers son cheval et somma son apprenti de le suivre. En quelques instants, tout le monde fut prêt pour le retour. Lhuden cala son cheval vers celui de Dagda. Tous les deux marchaient côte à côte tandis que le reste des soldats escortaient devant ce qui restait de la caravane. La tension était retombée et le calme avait repris ses droits sur les terres entourant la cité de Siltora.

Lhuden ne tiendrait nullement Dagda pour responsable de la situation. Il n'avait pas créé le problème, et bien au contraire, il avait tenté d'agir pour sauver les marchands victimes de l'attaque. Le prince se rappela les bonnes paroles de Lodagan, notamment celles qui consistaient à passer son chemin, éviter les ennuis autant que possible pour ensuite éviter d'autres problèmes. Les circonstances étaient particulièrement adaptées aux propos antérieurement tenus par le commandant et l'amertume était naissante dans l'esprit du jeune homme, une fois de plus confronté au choix de l'action réprimandée ou de l'inaction certes comprises du fait de son statut mais point supportée par sa propre conscience.

"Je suis navré pour ton garde, j’aurai du faire plus attention pendant le combat".

-"Ce n'était pas mon garde, du moins, je ne sais pas ce qu'il était. Je ne le connaissais pas."

Mais Dagda n'avait pas complètement tort, le défunt fut bien envoyé par le général pour assurer la sécurité de l'apprenti. Une fois de plus, son imprudence avait entrainé des conséquences certes non souhaitées, mais bel et bien irréversibles.

"Tu n'es pas dans ton royaume". Baissant un instant le regard et soupirant légèrement, le jeune homme poursuivit la conversation. "Je suis le seul responsable". Et il le savait parfaitement. "Mais un soldat doit également protéger le peuple, il s'engage pour cela. Il savait que cela pouvait arriver". Lhuden essayait de se convaincre du bienfait de leur intervention en rappelant les prérogatives qui incombaient aux soldats du royaume. Un devoir doit être accompli, et il estimait que le sien devait l'être également, le même, à savoir protéger son peuple. Il n'acceptait juste pas encore le fait que cette protection passait par le fait qu'il devait rester en vie, bien sagement couvé dans un palais, sans entreprendre des actions qui pourraient nuire à sa vie.

Le retour du cortège se déroula sans encombre, dans un calme pesant. Une fois dans l'antre des apprentis de Siltora, les chevaux furent raccompagnés jusqu'aux écuries. Lhuden et Dagda laissèrent leur monture au jeune garçon en charge des bons soins à prodiguer aux équidés avant de s'éloigner pour échanger quelques paroles amicales.

Cherchant les bons mots, le prince finit par échapper une proposition à l'attention du nain. "Il paraît que j'accorde ma confiance un peu trop aisément... malgré cela, je n'ai pas de regret te concernant". Un léger sourire avait accompagné son intervention. "La Caldérie gagnerait sûrement à apprendre d'un combattant tel que toi. Ne serais-tu point intéressé pour rejoindre la capitale à mes côtés ? Je quitte bientôt Siltora".

Lhuden avait conscience des projets personnels qui animaient les pensées du nain. Il espérait néanmoins avoir la possibilité de poursuivre un bout de chemin avec Dagda, et qui sait, vivre d'autres aventures en sa compagnie.