Le temps d'un rêve [Libre]

Entre guerre et résistance, l'épuisement avait conduit la jeune Myriée à un petit somme. Les évènements sur les terres elfiques n'avaient rien d'une partie de plaisir et bien des tourments animaient les âmes guerrières de ce royaume. Entre combats et stratégies, la jeune femme avait besoin d'un repos bien mérité. Alors qu'elle dormait à poings fermés, son esprit s'évada quelques instants dans un lieu aussi serein que jovial. Elle avait passé la porte tel un fantôme et voilà que la demi-elfe se dirigeait vers le comptoir, à l'emplacement de l'aubergiste rondouillard. Elle le salua, il la salua.

-"Qu'est-ce que j'vous sers ma p'tite ?"

Myriée observa les breuvages de ses voisins de comptoir, sans réellement leur porter de l'attention. Elle se décida assez rapidement et opta pour un petit verre de vin. Après tout, elle pouvait profiter  de cet instant de liberté. Les gens d'ici semblaient étonnamment calmes, sans doute étaient-il peu impactés par la guerre en Estérya, sa guerre. Et peut-être était-il temps pour elle de penser à autre chose. Elle était jeune et avait toute la vie devant elle, si toutefois elle ne la perdait pas au cours des différentes batailles auxquelles elle participait activement ces derniers temps.

L'aubergiste lui déposa son verre sur le bois vieilli. Cet homme lui sembla tout aussi sympathique que son établissement et elle n'avait jamais eu l'occasion de visiter ce lieu quelque peu hors du commun. Un escalier semblait mener à l'étage tandis qu'une bonne quinzaine de personnes semblaient discuter ou siroter quelques alcools savoureux. Elle remercia le petit homme et se tourna pour observer la salle. Une petite table à l'écart lui semblait parfaite. Elle en prit la direction et s'installa. La jolie brune trouvait le petit brouhaha ambiant plutôt agréable, oubliant ses tracas et écoutant même la discussion amusante de cette femme et du nain qui échangeait avec elle. Myriée s'autorisa un sourire et avala une première gorgée de vin. Tout était si plaisant ici, loin de la réalité.

Alors que les pensées d'Anniel se laissaient aller, bercées par le souffle du vent qui s'engouffrait dans la grotte dans laquelle il s'était enfermé et avait été rejoint par un autre nirphalien, ses membres se relâchèrent et il se sentit comme dans un état second. Habitué aux nuits sans rêves, il s'étonna une demi-seconde que cette nuit, qui s'annonçait difficile pourtant, en raison des conditions climatiques et du froid mordant des bourrasques de vent, fut bercé par un étrange rêve. Il franchit les portes en bois d'une auberge et s'attabla au comptoir. L'aubergiste trapu servait une jeune elfe. Il se tourna vers le nirphalien et il lui demanda ce qu'il désirait boire.

"Un verre de rhum..." répondit-il simplement en ajustant son habit qui était dans le vrai monde recouvert de sable et qui, là, paraissait propre et même sans un pli, comme un nuage posé sur ses épaules. Habitué à quelques missions maritimes lorsqu'il ne travaillait pas pour le compte du roi de Caldérie, il avait pris quelques mauvaises habitudes au contact de pirates et corsaires et celle de boire du rhum à quelques occasions en faisait partie. Il remercia l'aubergiste qu'il lui tendit un verre suprenamment plein pour une auberge et but une petite gorgée. Aussi étonnant qu'il n'y paraisse et alors qu'il s'agissait jusqu'alors pour lui d'un rêve, il ressentit le goût et la force de l'alcool qu'il goûtait.

L'ambiance semblait bonne enfant et le brouhaha qui régnait en ces lieux étaient plaisant. Aussi se prit-il à écouter les conversations des personnes autour. Observant les autres clients qui se tenaient à ses côté, Anniel eut un regard en direction de l'elfe brune qui se tenait à ses côtés et la salua en agitant son verre. Ce lieu était surprenant, toutes les races y étaient représentés : elfes, drows, humains, nains, ordans et petites gens et même parmi tout cela un nirphalien perdu dans cette foule. Il but une deuxième lampée alors qu'un des serveurs nain passait derrière lui, sans faire exprès, il le bouscula et celui-ci renversa une partie de la bière sur le sol. Se confondant en excuse, Anniel mit la main à sa bourse avant que l'aubergiste lui fit signe de ne rien en faire. Le remerciant et s'excusant à nouveau, il se tourna vers celle qui se tenait à côté de lui : "J'espère que ma maladresse n'a pas sali votre vêtement, noble elfe...

-"Il n'en est rien". Répondit-elle à l'homme qui se tenait devant elle, lui confirmant ainsi qu'aucune goutte de bière n'était venue s'incruster dans ses vêtements. "Les nains sont très ... rustres. Vous ne trouvez-pas ?" S'exclama t'elle en observant du coin de l’œil le serveur impliqué dans la maladresse et l'autre nain, celui là client, qui une fois l'alcool ingéré en quantité, semblait rendre l'intégralité d'une auberge aussi joyeuse que désordonnée. La jeune femme sourit en entendant l'énergumène s'exprimer sur des histoires contées puis chantées, toutes aussi loufoques les unes que les autres. "Ils sont également très drôles". Ajouta t-elle devant la scène qui se déroulait sous leurs yeux, ne pouvant que constater la bonne humeur qui entourait chacune des tables de l'établissement.

"Ne restez pas debout, Messire ... ?" Alors qu'elle attendait qu'il se présente, elle poursuivit sa conversation. "Prenez donc cette chaise". Elle lui désigna la chaise voisine, une des rares encore libres, ce qui leur offrirait à tous les deux une vue imprenable sur le spectacle offert par le nain alcoolisé. Myriée était une jeune demi-elfe sans grande expérience. Elle pensait inviter un humain à sa table, et certainement pas un nirphalien, l'ennemi incontesté de son peuple. Elle profitait de ce rêve pour se détendre et ne souhaitait pas voir ressurgir en ce lieu de gaité les méfaits de la guerre en Estérya. Aussi elle n'eût ni doute ni pensée particulière envers l'individu qui la rejoignait. "Pour être honnête, je suis une simple demi elfe..." Répondit-elle à la dernière intervention de l'inconnu. "...ce qui est bien moins noble, vous en conviendrez". Et ce n'était pas pour la déplaire, car elle pensait véritablement que les vrais elfes étaient dotés d'une haute opinion d'eux-mêmes, pour certains d'entre eux en tout cas. Elle avait été plusieurs fois, au cours de sa jeunesse, confrontée aux différences entre les elfes et les demi-elfes au sein du royaume d'Estérya, bien que les évènements des dernières années aient allégé ces différences pour rassembler ces deux types d'êtres et même cohabiter avec d'autres races. La noblesse des elfes est certes un fait mais ils se doivent surtout d'être humbles car nul n'est à l'abri d'un sombre futur.

-"Il n'en est rien". Les nains sont très ... rustres. Vous ne trouvez-pas ?" avait-elle répondu à l'interrogation du nirphalien. "Je vous avoue découvrir ce peuple que j'ai rarement eu l'occasion de fréquenter lors de mes pérégrinations... Elle lui proposa ensuite de s'asseoir, chose qu'Anniel accepta volontiers en indiquant son nom : "Lelkes, Anniel Lelkes et vous ? Etant assassin pour la cour du roi de Caldérie et portant le nom de son vieux maître, sa nature nirphalienne était préservée. Même s'il se trouvait actuellement dans un rêve, il ne voulait laisser aucune chance au hasard ou bien à la possibilité d'être identifier. C'était là une habitude qu'il avait prise de longue date.

Il s'assit à côté de celle qui expliqua qu'elle n'était qu'une demi-elfe, ce à quoi l'exilé de Rhaak répondit avec un ton qui se voulait rassurant : "La noblesse peut prendre de multiples formes et celle d'un peuple ne déteint pas forcément sur tous ses membres. Ne vous justifiez pas auprès d'un étranger, cela ne vous sied guère"

A ce moment-là un léger brouhaha se fit entendre dans la pièce, des éclats de rires gras de la part de certains soiffards nains raisonna dans la pièce. Anniel qui avait tourné le dos au comptoir observait ces petits êtres avec curiosité et perçu quelques bribes de la conversations : "Et là ce que j'avais pris pour un monstre, z'était aut' que ma bru qu'mon débile d'fils avait choisi, pas peignée, elle ressemblait à une sorcière !" De nouveaux éclats de rire se firent entendre et raisonnèrent dans toute la pièce.

"Je crois que nous avons là un autre trait de nos fiers amis nain : en plus d'être soiffards, ils ont le rire gras et parlent fort" ajouta Anniel amusé de l'échange qu'ils venaient de percevoir. Il n'avait pas vu que l'aubergiste se tenait alors derrière lui et se racla bruyamment la gorge. "N'en prenez pas ombrage messire aubergiste, je ne fais que constater. Sortant une pièce de sa poche, il la posa sur le comptoir comme pour se faire pardonner. Le tenancier souffla et accepta volontiers le pourboire qu'il fourra dans une des nombreuses poches de ses braies avant de passer au service d'un petit couple qui venait d'arriver.

Du coin de l'oeil, Anniel perçut un peu d'agitation au fond de la pièce, là bas se tenait quatre drows, l'air goguenard et semblant jeter un regard glacial à la demi-elfe. Ne sachant pas si celle-ci les avait perçus, le nirphalien lui proposa : "Que diriez vous de prendre un peu l'air ? L'atmosphère est un peu bruyante et me faire oublier auprès de l'aubergiste me semble une riche idée."

L'homme qui se présenta sous le nom d'Anniel Lelkes accepta donc de partager cet instant de détente en la compagnie de la jeune femme. Il avait raison, elle n'avait pas à se justifier auprès d'un inconnu, mais en tant que demi-elfe, elle savait de quoi elle parlait. L'enfance et l'adolescence lui avaient à de nombreuses reprises rappelé sa nature inférieure, elfiquement parlant. Mais ce soir, il n'y avait pas lieu de s'attarder sur ce détail de la vie. Myriée ria de bon cœur en écoutant les propos du nain suffisamment joyeux pour emporter avec lui et sur le chemin de la rigolade, toute une auberge de clients aspirant à une forme de récréation au milieu de leurs habituelles aventures. Les propos très justes du nouveau venu la firent sourire mais la présence soudaine de l'aubergiste la fit réellement pouffer de rire.

-"Vous semblez être un homme qui s'attire facilement des ennuis Messire Lelkes". Dit-elle sans véritable raison si ce n'est le regard soutenu du tenancier qui retourna finalement à ses occupations. Le brouhaha ambiant était intense et la proposition de s'en éloigner arriva donc à point nommé. Elle avait remarqué les quatre drows mais avait volontairement souhaité les ignorer car c'était selon elle tout ce qu'ils méritaient. "Avec joie,  je vous suis". Dit-elle en se dirigeant vers la sortie avec l'homme à peine rencontré il y a quelques minutes de cela. Elle se savait en sécurité dans cet espace onirique mais elle n'aurait sans doute pas suivi cet inconnu dans une ruelle s'ils s'étaient croisés lors d'une rencontre plus réelle. A dire vrai, elle n'en savait rien.

Ils prirent une porte adjacente qui menait à une petite cour appartenant à l'auberge mais où les tympans étaient beaucoup moins sollicités. Myriée profitait de cette accalmie ainsi que de la fraîcheur agréable sur son visage.
"De quelle cité venez-vous ?" Demanda t-elle en toute innocence. "Je ne connais pas très bien la Caldérie mais mon père m'a déjà parlé de Centrale et de Minéas. Deux très belles cités d'après lui, bien que Minéas abriterai bon nombre de brigands". Elle marqua une légère pause avant de reprendre. "A moins que vous ne soyez originaire des Vend'iles ? J'aimerai tellement visiter ce royaume libre. Paraît-il que les plages sont magnifiques". Une pointe d'amertume s'installa dans les pensée de la jeune femme car ses obligations l'empêchaient pour l'instant de découvrir le monde. "Un jour prochain, peut-être". Déclara t-elle en souriant. Myriée était encore très jeune et elle aspirait à voyager depuis déjà de longues années. Elle espérait donc que ce jour viendrai bientôt, quand la situation en Estérya serait plus stable.

La jeune demi-elfe accepta la proposition du nirphalien, aussi étrange que puisse paraître leur rencontre, ceux-ci n'ayant pas forcément eu la possibilité de se rencontrer en d'autres circonstances. Au moment où ils passèrent à côté du nain qui n'avait de cesse de conter ses plus légendaires anecdote, il perçut une nouvelle de ses histoires : "Un jour qu'j'avais bien bu, z'étions sur une barque et mon humain d'compagnon trouva rien d'mieux que d'm'utiliser comme appât pour chasser la baleine... Devant cette nouvelle histoire cocasse, tant et si bien que c'était à se demander s'il ne les inventait pas au fur et à mesure que l'alcool coulait dans son gosier, Anniel esquissa un sourire.

Ils arrivèrent alors à l'entrée de l'édifice qui servait d'auberge et au moment où ils franchirent les portes de la taverne, un air frais et agréable vint se poser sur sa peau et il prit une grande et profonde inspiration. La porte se referma derrière eux et vint laisser place à un silence entre-coupé de quelques éclats de rires qu'on percevait. Le nain conteur devait de nouveau avoir fait une remarque qui avait permis d'entendre quelques éclats de rire malgré les lourdes portes du lieu. "Pour répondre à votre interrogation, je ne m'attire pas souvent des ennuis mais j'avoue que l'ambiance de ce lieu prête au rire et à l'apaisement... Quel drôle d'endroit..." avait-il ajouté pensif, observant sa camarade qui lui posa une longue question afin de savoir d'où il venait.

Le sang noir qui était bien décidé à ne pas révéler sa véritable nature répondit alors ceci : "J'ai eu la chance de vivre en de nombreux lieux au cours de ma vie, de la Vaste désolée où j'y étais enfant jusqu'à la Caldérie en passant par Hellésia, Minéas et Kardis. Maintenant je vais de lieu en lieu, là où ma vie et mes contrats me portent... Et pour vous répondre, oui Centrale et Minéas sont toutes deux de très belles villes même si j'avoue leur préférer Hellésia qui est si différente. Et vous ? J'imagine que vous ne connaissez que le territoire d'Esterya, a moins que vos aventures vous aies menées ailleurs ?" Habituellement, Anniel n'était pas du genre bavard mais l'ambiance de ce lieu, l'alcool aussi peut-être et l'impression d'être dans le confort d'un rêve, lui permettait de se libérer et de converser avec une demi-elfe.

Après avoir laissé la demi-elfe répondre, il eut un éclair de lucidité tout à coup, comme quoi l'alcool ne l'avait pas encore totalement groggy : "Mais d'ailleurs, comment, alors que je suis bien loin des villes aujourd'hui et que vous, qui semblez bien réelle et avez votre propre histoire, sommes-nous arrivés là ?..." Cette interrogation subite le taraudait au moment de son arrivée dans le lieu puis avait complément disparu de son esprit, et là, maintenant qu'ils étaient dehors, il se souvenait sa mission et qu'il était loin de passer la nuit en aussi charmante compagnie, lové dans des couvertures et affrontant le froid nocturne du désert aux côtés d'un autre nirphalien après avoir occis quelques hyènes.

Comme Anniel, Myriée trouvait cet endroit plutôt cocasse. Cette vague de bonne humeur déferla sur elle comme une agréable bouffée d'oxygène qui contrastait avec les problèmes du quotidien. Alors que l'air frais était appréciable après tant de chaleur humaine, d'émanations de fumée de tabac et de senteurs alcoolisées, la jeune femme écoutait son interlocuteur de ses deux oreilles. Elle aimait tant le monde qu'on lui avait raconté lors de son enfance et souhaitait tellement le parcourir que chaque récit sur la Caldérie, les Vend'îles et autres régions la faisait tout simplement rêver. Hellésia, elle ne connaissait pas, probablement à cause de sa position géographique très éloignée vis à vis des cités elfiques. Peu des siens s'étaient aventurés aussi loin, qui plus est au cours des dernières années. Elle sourit à la remarque d'Anniel et lui répondit.

-"Oui, je n'ai jamais mis un pied en dehors d'Estérya. Pourtant ce monde m'attire et j'ai l'impression de lutter contre ma raison, ma famille, mon royaume pour m'obliger à rester et à me battre... l'intérêt d'Estérya prévaut sur ma propre volonté. C'est ainsi".

Elle donnerait en effet sa vie pour son royaume et si tel était son destin elle l'accepterait. Mais elle espérait au fond d'elle avoir cette chance, comme Anniel, de visiter les belles cités hellcandes et parcourir les terres à la rencontre d'autres peuples. Tant qu'elle vivrait, ses pensées l'orienteraient dans ce désir d'exploration du monde.

Elle sourit à nouveau à la question de l'homme. "C'est une auberge onirique. On m'a déjà parlé de cet endroit mais c'est la première fois que mon sommeil me mène jusqu'ici. C'est plutôt une bonne chose ne trouvez-vous pas ? Rencontrer des personnes qui vivent si loin et que l'on ne pourra peut-être jamais rencontrer au cours de notre vie est une chance".

Myriée se demandait de quels contrats parlait ce Anniel. Il parcourait le monde et devait ainsi mêler ces escapades à son activité. Une belle vie à première vue.

"Que faites-vous donc pour gagner votre vie ? Quels sont ces contrats ? Vous ne vendez pas des esclaves au moins ?" Se permit-elle subitement en pensant à la Vaste Désolée et à cet aspect rapporté par son père. "Oh, veuillez m'excuser... c'est indiscret, et s'il s'agit d'esclaves, je ne préfère pas savoir... mais j'espère que ce n'est pas le cas, vous me semblez jusque là sympathique... alors..."

La jeune femme s'était un peu mise dans le pétrin des mots. Elle détourna le regard un instant pour éviter celui de son interlocuteur, sans doute gêné par ces quelques questions. "Dans quelle cité vous trouvez-vous actuellement ?" Tenta t-elle pour faire oublier sa précédente intervention.

La jeune demi-elfe lui apprit qu'ils se trouvaient tout deux dans l'auberge onirique et que ce lieu était connu de certaines personnes. Ces mots rappelèrent à Anniel des histoires anciennes que pouvait lui conter sa mère en un temps bien ancien mais il n'avait jamais expérimenté cela lui aussi. "Que faites-vous donc pour gagner votre vie ? Quels sont ces contrats ? Vous ne vendez pas des esclaves au moins ?" lui demanda-t-elle avant de s'excuser et de parler des esclaves. Le hasard faisait bien les chose car il n'en capturait pas mais en libérerait, du moins c'était ce que prévoyait son contrat. Elle se ravisa de sa question et dit alors : "Dans quelle cité vous trouvez-vous actuellement ?"

Anniel prit une courte inspiration tout en sirotant son verre qu'il tenait et dont les effluves alcoolisées commençait à avoir un léger effet sur lui, de telle sorte qu'il se révéla peut-être un peu plus loquace qu'il n'aurait été en temps normal : "Au contraire, mes... affaires me mènent souvent à faire certaines actions que certains jugeraient mauvaises, voler certains documents, mettre hors d'état de nuire un ennemi de la nation, quoi qu'il en soit je sers le roi Eveillé. Cependant pour vous parler des dernières en date, toutes ne sont pas aussi sombres et je dois par exemple m'occuper de l'apprentissage aux armes d'un jeune homme ou du moins de son perfectionnement en situation réelle et pour celle qui m'occupe présentement, de libérer certains esclaves des convois." Il savait qu'il n'avait aucune chance de revoir la jeune demi-elfe ou du moins cela se ferait en un temps très lointain car il n'était pas question pour un nirphalien de franchir la frontière qui les séparait... déjà qu'il était toléré en Caldérie en raison de son passé commun avec l'Eveillé... il n'allait pas franchir la frontière elfique au risque d'être considéré comme un ennemi de la nation.

"Actuellement, je ne suis pas dans une ville mais dans une grotte au cœur de la Vaste Désolée, désolé de ne pouvoir vous faire rêver à des lieux plus beau. Et vous ? Que pouvez-vous me dire sur votre vie ou bien sur les terres d'Esterya dont les frontières sont si impénétrables et que je n'ai jamais eu la chance d'arpenter malgré mes nombreux voyages ?" Anniel avait dit tout cela avec un ton très calme, conscient que sa nature d'assassin nirphalien n'allait pas forcément plaire à la jeune femme, aussi s'était il gardé de prononcer ces deux mots bien que le premier fusse clairement compréhensible au vu du discours qu'il avait tenu.

Au fur et à mesure que la discussion avançait, le sang noir sentait que tout commençait à paraître de plus en plus flou autour de lui... Le rêve touchait-il bientôt à sa fin ? Il était difficile de le dire de même qu'il était impossible pour lui d'estimer le temps qu'il avait passé en ces lieux. Il espérait que cette douce nuit ne s'achèverait pas si vite mais ce n'était malheureusement pas lui qui en aurait le dernier mot... Il but une nouvelle gorgée de son rhum ce qui lui permit de se concentrer sur la réponse de son interlocutrice qui commençait son exposé...

Il n'en fallait pas plus pour mettre Myriée en admiration. Cet homme voyageait, il travaillait pour un roi et il libérait des esclaves. Tout ceci était palpitant et elle ne regrettait pas sa rencontre avec Anniel, tout autant qu'elle espérait avoir l'occasion un jour prochain de partager un véritable verre en sa compagnie. Il lui relata ensuite qu'il se trouvait dans une grotte au sein de la Vaste Désolée. En effet, le rêve d'exploration de la jeune femme avait ses limites et cet endroit sauvage du sud hellcan ne l'attirait pas véritablement, notamment à cause de Saranthe et des esclavagistes, car c'était une chose qu'elle n'approuvait pas du tout. A la question qui suivit, le sourire sur son visage s'effaça au fil de son récit.

-"Estérya est toujours magnifique, malgré l'invasion et la guerre que nous connaissons. Je suis originaire de Myn. Malheureusement, elle n'est plus accessible aujourd'hui, il est bien trop dangereux de s'y rendre".

Elle se tourna vers Anniel qui semblait l'écouter, puis elle poursuivit ses explications.

"Vous savez, nos frontières ne sont pas impénétrables. Elles ne l'ont jamais été pour des hommes comme vous... et elles ne le sont plus à présent pour les sang-noirs... Depuis que notre éveillé a été assassiné, il n'y a plus de maîtrise à ce niveau là. Du moins, la garde du royaume fait ce qu'elle peut, au nord comme au sud".

Au nord c'était évident, bien que la ligne de contrôle avait nettement baissé sur la carte. Au sud, c'était plus complexe. Certains exilés, humains, nains se présentaient pour apporter leur aide aux conflits mais d'autres avaient des projets plus néfastes envers les elfes et il fallait donc sans cesse opérer une surveillance. Le royaume de Caldérie participait également à cette guerre. Il avait fourni des hommes et leur soutien est très apprécié.

"Votre roi semble bon, et vous aussi. J'espère qu'un jour prochain j'aurai le privilège de vous inviter sur une terre libre et protégée. Mais pour l'heure, ce n'est pas le cas".

Une pointe de tristesse émana des propos de la jeune demi-elfe. Tant d'amour pour une patrie en guerre et tant de haine envers un ennemi impitoyable qui l'empêchait de vivre sa vie comme elle l'entendait. Malgré tout Myriée restait dans l'optimisme. Elle bu une autre gorgée de son breuvage et retrouva son sourire.

"J'ai bon espoir que les choses s'améliorent vous savez". En effet, elle souhaitait que ce conflit prenne fin pour enfin découvrir le monde qui l'entoure.

La jeune femme évoqua à la suite les tensions que connaissaient ses terres. Anniel avait déjà entendu parlé de la guerre qui avait lieu en Estérya depuis la mort de leur Eveillé et n'avait depuis qu'une crainte : que son royaume de Caldérie pour lequel il avait le plus profond respect ne subisse le même sort. Il avait eu vent de cette histoire lorsqu'il avait vu partir plusieurs dizaines de soldats en direction de ces terres, mais pour lui, il n'était pas question de s'y rendre de peur qu'on ne le considère comme un ennemi par les deux fronts à la fois. En tant qu'exilé des terres nirphaliennes, il était considéré comme un ennemi de cette nation et ne méritait certainement à leur yeux que la mort...

Il regarda son interlocutrice sombrement avant de lui dire : "J'espère qu'en effet vos terres connaîtront le droit à des jours heureux lorsque les attaques des nirphaliens seront déjouées... Je sais leur haine et la dangerosité qu'ils représentent..." Cette dernière phrase, il l'avait prononcée avec un air grave et un ton glacial qui laissait entendre qu'il savait de quoi il parlait. A ce moment là une image s'imposa en son esprit. Il se souvenait alors de la mort de sa mère, tuée pour avoir essayée de s'enfuir. Il se souvenait l'horreur et la stupeur qu'avait provoqué en lui cette dernière scène. Se ressaisissant, il ajouta : "Quand à mon Roi, j'ai toute confiance en lui et je sais qu'il ne vous abandonnera pas... il sait s'engager dans les causes qui méritent d'être défendues." Il avait prononcé cette phrase avec plus d'entrain, comme si le simple fait d'évoquer l'Eveillé le rassurait. Il ne savait pas si c'était la discussion ou bien l'ambiance qui se refroidissait lentement. Aussi, il but une nouvelle gorgée de son rhum qui touchait à sa fin et dont le verre disparu dès qu'il en eut consommé la dernière goutte.

"J'espère avoir l'opportunité de vous rencontrez. Vous semblez avoir une vie difficile et j'espère qu'une fois la guerre terminée, nous pourrons nous rencontrer autrement qu'en rêve..." Il marqua une pause puis ajouta : "Sur ce, profitons de l'animation qui nous entoure, je vous propose de retourner à l'intérieur et de profiter de cette ambiance fêtarde et de nos nains bavards !" Au loin derrière eux, ils entendaient toujours des éclats de rires qui survenaient à intervalle régulier, la bonne humeur semblait en effet aller bon train. Franchissant la porte qui se tenait derrière eux, Anniel vit une autre scène, à défaut de l'auberge, il ouvrit les yeux et se retrouva à nouveau dans cette grotte désertique qu'il avait quitté pour vivre cette petite parenthèse aux côté d'une jeune demi-elfe. Il s'éveilla lentement, tentant de graver en sa mémoire les instants et les paroles de la jeune femme.

A la remarque d'Anniel sur les nirphaliens, Myriée fronça légèrement les sourcils. Elle se demandait ce qu'il avait pu vivre antérieurement au contact de ces sang-noirs sans foi ni loi pour parler d'eux aujourd'hui de la sorte. Par contre, elle ne se doutait en aucun cas de la nature de son interlocuteur, bien trop sereine dans cette auberge qui l'éloignait des conflits. Il poursuivit son discours avec son jugement sur le roi de Caldérie auquel il semblait porter une certaine estime. La jeune demi-elfe espérait également que l'éveillé de Centrale poursuivrait ses efforts et l'aide fournie à Estérya depuis le début des hostilités. Mais qui était-elle pour désirer le soutien d'un autre royaume lui-même certainement en proie à bien d'autres ennuis ? Et qui étaient les elfes pour inviter d'autres peuples à périr sur leur propre territoire ? Cette guerre était celle des êtres elfiques, et bien que la bonté de leurs voisins restait un réel atout dans le conflit, il ne fallait pas se reposer sur l'extérieur.

Myriée avait suivi Anniel à l'intérieur de l'auberge. En l'espace de quelques secondes, ils étaient de nouveau passés du silence au brouhaha incessant, de discussions nostalgiques à des récits loufoques, d'une ambiance tristounette à l'effervescence des pintes qui se heurtaient les unes aux autres, aux chaises tirées de-ci de-là, aux cris espérant captiver le nain en charge du service pour obtenir la boisson tant attendue... et bien d'autres situations bruyantes et burlesques. La chaleur contrastait elle aussi avec la fraîcheur nocturne de l'extérieur. Myriée appréciait les deux atmosphères, profitant simplement de sa soirée en compagnie d'un inconnu qu'elle n'aurait sans doute jamais la possibilité de revoir. Pourtant, cette rencontre lui avait transmis une fois de plus le désir de parcourir le monde, une perspective d'avenir qu'elle attendait avec impatience.

Alors que les deux jeunes gens tentaient de rejoindre l'intérieur pour se frayer un chemin entre les tables, la jeune demi-elfe constata la disparition d'Anniel qui pourtant la suivait de près. Elle sourit, contente de cette rencontre mais angoissée à l'idée de quitter cet endroit pour elle aussi reprendre le cours de sa vie. Elle profiterait donc encore un peu de cette nuit si particulière en sirotant un autre verre et en écoutant l'insouciance des nains et des êtres réunis en ce lieu pour fuir les problèmes de ce monde. Le retour à la réalité attendrait encore un peu.

Rp terminé

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