La sorcière de Réciféa [Mission de la GdA]

-"Jud, j'ai une mission pour toi ... !" Chuchauta l'adolescent qui se remémorait à voix haute les paroles de Rebecca au détour d'un couloir de la guilde tandis qu'il foulait à cet instant même le parquet grinçant de la vieille bicoque. Une toile d'araignée ornait l'angle au dessus de sa tête tandis qu'une trace de main avait décoré le mur boisé sur sa droite. Cet endroit pouvait donner la chaire de poule au plus terrible des sang-noirs, mais on avait envoyé sur place l'un des plus peureux de la guilde, Jud, qui du haut de ses quinze ans, était connu pour craindre pas mal de choses en ce monde. Et puis trouver et neutraliser une sorcière... mais pourquoi donc était-il ici, sur Réciféa, dans une aventure aussi sordide ? "Rassure-toi. Tu n'iras pas seul". Continua t-il à voix basse, se rappelant la suite des propos de la dirigeante de la Confrérie avant de lui refourguer Simus, un petite gens un peu trop bruyant, et un peu trop maladroit, un peu trop lent et carrément ... hors contexte.

-"Tu l'as trouvée ?" Demanda le petit homme en reniflant à cause de son rhume, alors que Jud lui répondait en chuchotant.
-"Bien sûr que non, sinon elle nous aurait déjà transformés en troll des marais !"

A cet instant précis, Jud devait avouer que le petite gens était une présence rassurante, bien qu'il allait certainement les faire repérer et les entraîner tous les deux dans une situation des plus critiques. L'allure sécurisante, les deux êtres de petite taille bifurquèrent dans la première pièce sur leur droite. Ils purent entrevoir une grande table en bois, des chaises et une énorme cheminée avec en son antre une marmite énorme et fumante. Il y avait plusieurs étagères poussiéreuses, un coffre posé à même le sol, des rideaux déchirés et de la poussière un peu partout. Un cafard traversa la pièce pour se planquer sous un trou du parquet tandis qu'une araignée descendait sur son fil pour galoper sur la table.

Simus regarda Jud.
-"Elle n'est pas ici".
Jud regarda Simus.
-"J'avais remarqué. Mais elle ne doit pas être bien loin".

En effet, le feu crépitait et le contenu de la marmite semblait bouillonner. Une soupe d'après l'odeur, mais Jud n'irait pas vérifier le contenu, de peur d'y trouver un crâne ou deux, quelques ossements peu ragoûtants ou encore un animal n'ayant pas sa place dans une assiette. Rien que d'y penser, il s'en détourna pour observer le reste de la pièce. Puis il questionna son compère du jour.

"Tu crois vraiment qu'une sorcière a pu lancer un sort sur un village ?"
Simus lui répondit sans sourciller.
"Évidemment, sinon Rebecca ne nous n'aurait pas envoyé sur cette île perdue".

Jud regrettait déjà sa question. Il n'en attendait pas moins du fidèle petite gens qui voyait en Rebecca une déesse à satisfaire. Il avait passé l'ensemble du voyage à démontrer qu'elle était la chef suprême de la guilde et que cette femme devait devenir le maître du monde et qu'il s'en porterait bien mieux. De son côté, en revanche, les doutes étaient bien réels, mais il devait avouer qu'il avait déjà vu, et ce malgré son âge, des choses bien plus étranges dans ce monde parfois aussi farfelu que dangereux. Sur l'une des étagères se trouvaient alors une dizaine de villages miniatures, avec des aiguilles plantées sur les maisons, les champs et les gens représentés. Jud trouva cela très réussi tandis que Simus observait chaque détail.

"Elle est douée cette sorcière. Je me demande bien à quoi ça sert par contre."
"Sérieusement ? ... Ca ne te fait pas penser à un sort sur un village ?"
"Maintenant que tu le dis"
Simus se gratta le menton pendant que Jud levait les yeux au ciel.
"On les détruit tous et on s'en va. Proposa le petite gens.
"Jette-les dans la cheminée, je surveille l'entrée".

Le premier village fut jeté au feu, sur le côté gauche de la marmite.

"J'espère que ce village ne va pas brûler à cause de moi"Fit Simus tout en regagnant l'étagère à la recherche d'un autre hameau miniature.
Jud l'observa en espérant qu'il n'allait pas leur porter la poisse. Mais à part détruire ces répliques, il ne voyait pas comment casser la malédiction.
"Mais non. Dépêche-toi !" Pourtant, l'adolescent n'en savait strictement rien. Il vérifia à nouveau que personne ne les surprendrait lorsqu'il entendit une porte grincer. Il s'empressa d'aider Simus à jeter au feu les deux derniers villages avant de sortir leurs couteaux pour s'en servir en cas de besoin. Le cœur du garçon battait si fort qu'il allait sortir de sa poitrine. Ils échangèrent un regard et n'ayant pas de cachette, ils firent face à la fameuse sorcière en hurlant. Celle-ci, étonnée de voir quelqu'un chez elle, avait sortit son vieux bâton pour venir à bout des deux intrus. Vêtue d'une grande robe noire, la sorcière au visage marqué, également de petite taille, fronça les sourcils avant d'adoucir son visage.

-"Simus ?! C'est bien toi ? Nom d'une drache..."
-"Euh oui" Répondit alors le petite gens décontenancé.
-"C'est moi, Kélénétérénéa".Dit-elle enjouée et dévoilant ainsi ses belles dents noires. Le petite gens l'observa de haut en bas, ce qui fut rapide au vue de sa taille.
-"Bien sûr !! Que fais-tu ici ? Loin de la grande terre ? Tu es une sorcière ?" Il semblait donc l'avoir reconnu mais tout de même étonné de la retrouvée ici, dans un lieu si reclus.
-"Je sais ce qu'on raconte sur moi, ce n'est pas forcément ce que je suis. Tu n'es pas venu seul à ce que je vois".
Jud tenta un bref sourire, l'atmosphère n'ayant jamais été aussi détendue depuis leur arrivée dans la maison des horreurs.
-"Bonjour... M'dame."
Il n'avait rien trouvé d'autre que d'être poli, pensant que c'était mieux que finir aux côtés d'un navet au fond de la marmite. L'adolescent fut agréablement étonné de la tournure des évènements, laissant le petite gens gérer la situation. Autant dire que ce n'était pas ce qu'il avait prévu depuis le début de leur mission à Réciféa. Simus s'excusa pour les villages miniatures jetés au feu, ce qui rendit Jud tout d'un coup plus nerveux. Il resta silencieux et attendit la réaction de la sorcière qui éclata de rire à n'en plus finir. Les deux envoyés de la guilde s'observèrent mutuellement avant de reporter leur attention sur la maîtresse des lieux.
-"Ces vieilles babioles prenaient bien trop place. Je trouverai d'autres choses à exposer". Elle s'approcha du feu, retira le couvercle et remua le contenu avec sa grosse louche. "Je vous garde à diner tous les deux".
-"Oh... non... on ne voudrait pas déranger... et nous devons partir". Tenta l'adolescent pou esquiver l'offre peu alléchante, préférant rebrousser chemin tant qu'il avait encore des jambes pour s'y atteler.
-"Simus, tu l'as trouvé où celui-là ?" Fit-elle en écrasant une araignée avec la paume de sa main et en tournant le regard vers le jeune garçon.
-"Moi j'ai faim, nous allons te tenir compagnie".
Jud n'en revenait pas. Ils étaient censés anéantir cette sorcière, mais au lieu de ça, ils allaient partager une soupe et quelques bons souvenirs. En effet, la femme leur conta son histoire et Simus fut captivé. Jud ne montra aucune opposition, tout simplement parce qu'il tenait à la vie et d'après lui, exterminer cette sorcière n'était plus à l'ordre du jour. En effet, cette charmante dame leur expliqua qu'elle avait jeté des sorts à chaque village qui n'avait pas souhaité l'accueillir et qu'elle avait rejoint l'Ile de Réciféa pour enfin trouver la paix et la tranquillité. En retrait, le jeune garçon avait entendu toute l'histoire, se prenant presque de compassion pour la sorcière. Elle leur confirma que la destruction des villages miniatures avait entrainé l'extinction des sorts et que ces derniers vivraient désormais en toute quiétude. Sa vengeance n'avait qu'assez duré et il était temps pour elle de passer à autre chose. Et en parlant d'autre chose, Simus avait décidé de rester quelques temps sur l'île, avec sa vieille amie. Jud quitta donc le rocher sans le petite gens, réfléchissant à ce qu'il pourrait raconter à Miss HELDELWICK une fois de retour à la Guilde. Il dirait la vérité, préciserait que les villages ne connaîtraient plus la famine mais que les choses n'avaient pas réellement pris la tournure envisagée. Parfois, les apparences n'étaient pas suffisantes pour juger quelqu'un et l'adolescent avait malgré lui apprit de cette affaire. Kélénétérénéa resterait quelques temps dans son esprit car cette femme n'était pas banale. Il se demandait d'ailleurs si Simus allait rentrer un jour ou s'il resterait sur Réciféa avec sa vieille amie. Jud emprunta seul la petite embarcation et fit la traversée le lendemain, quand la mer fut suffisamment calme pour le porter vers la côte vend'îlienne. Cela l'avait un peu angoissé, comme beaucoup de choses, car il ne savait toujours pas nager. Mais la barque avait tenu ses engagements et tout se déroula sans encombre. Il rejoindrait ensuite Rebecca, laquelle serait alors seule juge de la réussite de cette mission. Il espérait, au vue de la situation, qu'elle serait aussi satisfaite qu'indulgente.