Poste frontalier [Seul]

Ces elfes à la noix s'étaient trouvés suffisamment de tempérament pour bloquer l'avancée des sang-noirs dans la zone d'occupation, au nord d'Estérya. Malgré tout, ils accusaient des pertes chaque jour et la lueur d'espoir restait une simple luminosité dans leur esprit saccagé. Si les humains et les nains n'avaient pas mis leur grain de sel dans la bataille, Estérya ne serait plus qu'un champ de ruines, une terre annexée à Rhaak, un début de vengeance du dictateur et de son peuple, dans une ambition bien plus grande.

Le campement se dressait à la frontière. Assis à la seule table de la tente centrale, Helviiryn signait les derniers papiers autorisant les hommes de la première unité à se retrancher pour les jours à venir. La relève les avait rejoint et tous avaient bien mérités une pause. Le général qui supervisait ce groupuscule de drows, nirphaliens et syrions avait été appelé plus à l'Est, laissant le Nhâr T'saran gérer le campement en son absence. Il serait de retour le lendemain. Puis le calme fut brisé par des voix en provenance de l'extérieur. Le drow releva les yeux et vit trois elfes entourés par ses propres soldats.

-"Trois prisonniers. On les a pris du côté de Myn". Dit celui qui les avait poussés sous la tente, accompagné d'un syrion et d'un deuxième drow.

Helviiryn se leva, contourna la table et s'approcha du premier. C'était un jeune elfe, un novice. Il ne savait rien, n'était pas une menace, mais il semblait suffisamment robuste pour effectuer quelques tâches ingrates. Le stratège émit un simple mouvement du menton, l'autre drow comprit qu'il pouvait l'emmener. Celui-là rejoindrait un camp non loin de la frontière. Le travail forcé serait sa nouvelle vie pour les mois à venir. Les yeux de l'elfe noir s'arrêtèrent ensuite sur le second captif, plus âgé, plus vivace dans ses mouvements. Le drow lui attrapa le cou pour lui faire comprendre qu'ici et à cet instant précis, il n'était qu'une petite fourmi sans intérêt. Mais la jeune femme elfique qui se tenait à proximité l'avait sommé d'arrêter ce geste agressif envers son congénère. Helviiryn recula de deux pas et les observa tous les deux. Il sourit face au couple d'elfes qui se tenait devant lui.

-"Emmenez-les sur la butte".

La butte était cette colline qui culminait et formait la frontière entre Rhaak et Estérya. Les deux elfes s'observèrent, accusant la décision qui avait scellé leur sort.
-Non ! Fit l'elfe au teint pâle.
-Pourriture ! Lâcha son compagnon en se débattant mais rapidement maitrisé par le syrion en charge de les emmener loin de la tente.

Helviiryn retourna à ses occupations, peu enclin à s'inquiéter des sentiments de deux prisonniers parmi tant d'autres. L'ordre fut donné. Tout ce petit monde quitta la tente centrale tandis que les deux elfes tentaient en vain d'échapper à leur sentence. Le pas lourd et l'espoir léger, le couple fut conduit sur la butte ainsi nommée. Là, deux piloris les attendaient, droit, en  bois, sans rien autour. Mains attachées par les lourdes chaines, ils n'avaient plus aucune liberté, juste le sentiment d'être les proies d'un avenir sombre, de la nuit et du froid, de la peur et du désarrois, des créatures qui rôdaient dans le secteur et de l'incommensurable cruauté de leurs ennemis.

Au bout d'une heure, leur corps s'affaissait sous le poids des chaines qui les maintenaient encore debout. Au bout de deux, le froid les saisissait. Au bout de trois, ils échangeaient des chuchotements telles les dernières paroles inévitables avant la fin d'une vie. Au bout de quatre, une silhouette apparut alors devant eux, sous le ciel couchant.

"Reprenons là nous où nous en étions". Dit le drow en observant les deux elfes affaiblis comme leur peuple tout entier. "Où se trouvent vos avant-postes ?" En prononçant ces quelques mots, Helviiryn avait remis une mèche de cheveux gênante derrière l'oreille de la femme elfe. Le silence des deux prisonniers se perdit dans la brise du soir. Le stratège de Rhaak recula pour observer les deux obstinés désormais face à la mort. "D'autres parleront à votre place, ce n'est qu'une question d'heures".Il quitta la butte sans les informations souhaitées et retournerait à ses occupations. D'autres prisonniers arriveraient bientôt.

La nuit s'était installée sur la frontière. Les cris avaient retentit quelques minutes avant que le calme nocturne ne reprenne ses droits. Au petit jour et sur la butte, seuls les restes déchiquetés des deux elfes faisaient face à une Estérya qui savait une fois de plus à quoi s'en tenir. Le général serait de retour dans l'après-midi, aussi Helviiryn serait fin prêt à rrjoindre les combattants dans la zone d'occupation. Il retrouverait la seconde unité. Une brèche devrait leur permettre de percer la défense elfique pour rejoindre et décimer quelques villages. La lutte se poursuivait tandis que la mort gagnait du terrain.